Drôle d'impression dans ce sas élite, j'ai le pied sur la ligne et suis entouré de flèches kenyanes d'un côté et de l'équipe de France de 100kms de l'autre...ça pourrait m'inquiéter mais, au contraire, une de mes inquiétudes s'apaise car au vu des résultats de l'an passé j'avais peur que mon objectif de 2h40 ne me fasse courir seul une bonne partie du parcours. Le niveau semble être légèrement relevé cette année je devrais donc avoir des vis à vis. Seconde inquiétude: la météo. Les craintes de pluie ou de vent sont définitivement balayées, le soleil brille autant qu'il le peut et le vent ne sera pas de la fête. Les conditions semblent vraiment réunies pour faire quelque chose aujourd'hui.
L'heure du départ approche, sur ma gauche Martine Aubry a empoigné le pistolet, la rumeur se calme quelques instants, les mains sont sur les chronos, les yeux visent au loin...PAN ! C'est parti.
D'emblée les coureurs africains prennent la tête de course, j'essaie de me restreindre et de ne pas partir trop vite. Je rate le premier kilomètre mais passe le second en 7'15 au lieu de 7'36...c'est bien trop rapide. Je suis un peu esseulé entre deux groupes de coureurs et cherche mon rythme pendant les kilomètres 3 & 4 (3'56 et 3'50). Je fais l'effort et rattrape un coureur qui me dit viser 2h40, je décide de rester avec lui. Nous tournons les kilomètres qui viennent légèrement trop vite (5ème: 3'37, 6ème: 3'47, 7ème: 3'41 et 8ème: 3'42), je devrais me méfier de ce genre d'attitude. J'en ai pourtant lu des CR de coureurs qui partent à peine quelques secondes trop vite sur marathon et qui le payent cher sur la fin de course mais bizarrement je ne m'inquiète pas plus que ça. Pire ! Comme j'ai un peu de mal à être à l'aise je me dis qu'une allure un peu plus élevée peut me permettre d'être plus vite dans le bain et qu'une fois que les sensations seront là je pourrait me recaler sur un rythme correct et gérer la petite avance ainsi engrangée. Le soleil se fait insistant et je commence déjà à me dire qu'un départ à 10h30 sous cette météo ne présage rien de bon, il y aura probablement beaucoup de défaillances, je ne crois pas encore si bien dire. A la sortie d'un hameau nous sommes rejoints par deux coureurs de l'équipe de France de 100kms qui bavardent et nous expliquent viser entre 2h35 et 2h40 (ils feront 2h35 et 2h38), leur rythme n'étant pas assez différencié du notre nous leur emboitons le pas sans parvenir à les laisser partir. Nous passons donc à 4 le 10ème kilomètre en 37'31 (9ème: 3'44 et 10ème: 3'44), au lieu des 38'00 prévues, rien d'alarmant mais je commence déjà à me sentir de moins en moins à l'aise. Je sais que je ne resterai pas avec eux très longtemps et qu'il me faudra revenir dans un rythme plus proche des 3'50 au kilo. Les kilomètres qui suivent sont éprouvants, aucune ombre et une ligne droite le long de la Deûle faite de petits graviers collés dans le bitume, je les sens à travers ma semelle. Je commence à avoir très chaud et attend impatiemment le premier tiers de course. Les kilomètres se suivent et se ressemblent, les sensations ne viennent pas...je m'inquiète un peu. (11ème: 3'40,12ème: 3'44,13ème: 3'48 et 14ème: 3'45) Je me laisse finalement décrocher vers le 17ème kilomètre (15ème: 3'47,16ème: 3'44 et 17ème: 3'54), la chaleur se fait lourde et je commence à avoir mal au ventre. En passant dans un virage, j'entends un spectateur dire à sa compagne en me désignant: "Il n'est pas bien lui.". Je décide d'y aller un peu plus mollo, d'autant que le mal de ventre se fait pressant, l'organisation n'a prévu des WC qu'au 31ème kilomètre, c'est encore loin. Passage au semi en 1h20'06 (18ème: 3'53, 19ème: 3'56, 20ème: 4'02 et 21ème: 4'06), dans les temps mais déjà résigné à laisser filer le chrono, je n'en ai fait que la moitié...cela s'annonce difficile pour la suite. Au 23ème kilomètre (22ème: 4'10 et 23ème: 8'09), n'y tenant plus, je demande l'aimabilité de spectateurs sur le pas de leur porte pour utiliser leurs WC, sans chasse d'eau, y perd presque 5 minutes et repars sachant que c'est définitivement terminé pour moi. Je poursuis mon chemin uniquement parce que j'ai un train à prendre à Lens pour rentrer.
Le rythme n'est plus là, les kilomètres se suivent et je vais de mal en pis. J'ai de plus en plus chaud et une soif tenace. Je ne rêve que d'eau, mes jambes sont lourdes, malgré la faible allure je ne parviens pas à les soulever sans grimacer. Les kilomètres s'égrènent doucement (24ème: 4'16, 25ème: 4'16, 26ème: 4'10), je comprends qu'un marathon ça ne s'improvise pas. Je me suis contenté d'une préparation non pas baclée mais pas franchement sérieuse, j'avais un souvenir presque facile de New York et je me suis mis à considérer le marathon comme une distance classique, pensant qu'en serrant les dents je parviendrais au moins à limiter la casse. Cruelle déconvenue ! Je sais au fond de moi que je suis en train d'apprendre, d'en tirer une leçon, du moins d'humilité mais aussi une bonne expérience pour de futures courses, néanmoins je souffre. Le deuxième tiers est passé (27ème: 4'09 et 28ème: 4'23), bizarrement malgré mon rythme lent je rattrape des concurrents, ce sont pourtant des coureurs visant moins de 3h et qui devraient donc tourner plus vite que moi mais je ne dois pas être la seule victime de ce soleil de plomb.
Le 30ème kilomètre approche (29ème: 4'16, 30ème: 4'20), je me dis en voyant le village qui approche que c'est ici que les difficultés devraient commencer, elles sont pourtant bien présentes depuis un moment. Je regrette de ne pas être suffisamment lucide et serein pour apprécier le parcours, le charme bucolique de la Deûle, le pittoresque de ces hameaux éparpillés le long de la route et la ferveur des gens sur le bord du parcours, les enfants qui chantent, les musiciens, les marionnettes qui, tous, ont un petit mot gentil sur mon passage. Chaque traversée de village est ponctuée de "Allez Johan !", "Courage Johan !" et d'autres. Les organisateurs ont jugés bons de faire figurer le prénom de chaque participant sur leur dossard ce qui personnalise les encouragements, une excellente idée ! Malheureusement à chacun d'eux j'ai envie de dire que je ne mérite pas ces encouragements, j'ai baissé les bras il y a bien longtemps et n'ai aucun mérite à finir la course comme je le fais. Evidemment beaucoup de ces gens ne s'imaginent pas ma detresse tandis qu'ils voient passer un coureur en 30ème ou 40ème position, bien parti pour finir sous les 3h00, pour eux je suis en train d'aller au bout de moi-même, de grimacer parce que je m'accroche pour réaliser une performance...il n'en est rien. Je grimace uniquement parce que mes jambes ont doublé de volume, que mes pieds sont durs et que chacune de mes foulées tombe dans un bruit sourd. Le 34ème kilomètre est passé (31ème: 4'28, 32ème: 4'31, 33ème: 4'31, et 34ème: 4'49), plus que 8. Ca semble long. Je vois au loin sur le revêtement de la route le reflet du ciel, sorte de mirage et signe de la fonte du goudron. Un ravitaillement approche, je m'arrête quelques secondes pour boire correctement et m'asperger en bonne et due forme, je ne suis plus à une minute ou deux de perdues. J'ai un éclair de lucidité en repartant, je me rappelle que la fin de parcours est difficile, le profil ne ment pas et une longue côte doit m'attendre quelque part...décidément rien ne m'aura été epargné.
Effectivement la route se met doucement à monter, je serre les dents. A force de pugnacité je parviens à monter doucement, une ou deux fois je manque de m'arrêter car mes mollets se contractent d'un seul coup et frôlent la crampe mais j'en réchappe chaque fois. Je rattrappe un coureur en difficulté et, tandis que je cherche du regard le sommet, un spectateur nous dit: "Attention car après ça monte !". Ah oui ? Et là on est en roue libre peut-être ? Je baisse de nouveau mon regard et reprend mon effort. Je parviens en haut dans un état second, sans trop comprendre où j'en suis. La route s'applatit, je dois m'arrêter car une crampe au mollet me saisit.
Je parviens à repartir, des spectateurs m'encouragent en me disant que ça ne fait plus que descendre maintenant...4 kilomètres à tenir (35ème: 4'45, 36ème: 4'53, 37ème: 5'05, 38ème: 5'33). Un ravitaillement approche, je bois, ma cuisse se contracte d'un coup...Je m'étire sur le bord de la route et repars, difficilement car elle menace de réitérer. Plus que 3 kilomètres (39ème: 5'17), j'attends la fin de ce calvaire. Je ne suis plus lucide du tout, en approchant le panneau 39 qui n'est pas très lisible à cause du soleil qui s'y reflète je le fixe du regard pour savoir s'il y est écrit 39 ou...49 ! Ca descend maintenant, j'essaie de me laisser aller mais mes jambes sont tellement lourdes que chaque fois qu'elles retombent sur le sol et qu'il me faut reprendre appui dessus je ne peux m'empêcher de grimacer. 40ème (4'44), 41ème (4'31)...interminable...parfois mon bras droit reste plié dans son mouvement de balancier et je dois m'aider du gauche pour le décoincer. J'aperçois l'aire d'arrivée, quelques virages m'en séparent. Le panneau 42 approche (42ème: 4'40), je le vois mais suis obligé de m'arrêter une dernière fois car une crampe au pied contracte mes orteils et je suis tout près de chuter. Je repars et passe la ligne sous les hourras non mérités de la foule en 3h00'43 et 42ème position sur 1853 arrivants (pour 2500 inscrits !), le paradoxe du sportif qui échoue mais dont la performance est saluée par le public, anonymement bien sûr. Le coeur n'est pas à la fête, je vide deux ou trois bouteilles au ravitaillement et me dirige comme je peux vers la gare pour attraper, enfin, mon train, m'en retourner à Paris et laisser cette course loin derrière moi.
Photos: La Voix du Nord, Chti Grincheux, FloFloJoly, Arnaud