La Transbaie

Classée au patrimoine mondial de L'UNESCO la baie de Somme est, chaque année, le théatre d'une des courses les plus festives et réputées de France. Près de 6000 participants bravent chaque année la marée en parcourant un aller-retour à marée basse dans la baie. La boue, la vase et l'eau de mer bien sûr sont au rendez-vous et honorent ces coureurs depuis St Valéry sur Somme jusqu'au Crotoy, ainsi que sur le trajet retour. Ambiance festive et conviviale garantie nous a t-on dit, c'est ce que nous sommes allés vérifier Laurent, Arthur et moi.

Avant même le départ le côté pittoresque de la course se propose à nous car il nous est permis d'utiliser un petit train d'époque pour rejoindre l'aire de départ. C'est donc dans des wagons attelés à d'anciennes locomotives à vapeur que nous arrivons près de la ligne de départ d'où s'élanceront les 5500 concurrents du jour. L'absence de sas nous oblige un peu à jouer des coudes pour pouvoir accéder aux premiers rangs, Laurent sachant d'ailleurs son rythme moins rapide restera un peu en retrait dans le peloton. Quelques habitués nous expliquent un peu le parcours, un premier tour de presque 4 kms histoire d'étaler un maximum le peloton avant de plonger dans la baie jusqu'au Crotoy, d'en revenir et de passer la ligne au bout de 15.3 kms. Le départ est donné après près de 45 minutes d'attente dans l'unique sas.

Arthur et moi sommes suffisamment bien placés pour ne pas être gênés dans les premiers hectomètres. La première boucle ayant pour but d'allonger notre colonne de coureurs nous avons pris le parti, sous mon impulsion, de démarrer assez vite pour attaquer la baie en bonne position et d'y évoluer en de bonnes conditions. Personnellement la transbaie vient cloturer une semaine de tout juste 100 kms pour moi, sachant que celle qui vient avoisinera le même kilométrage je décide de rester avec Arthur jusqu'au Crotoy d'où j'accélèrerai légèrement. Nous passons les 2 premiers kilomètres en 3'40 chacun et commencons doucement à nous mettre dans un rythme de croisière plus lent en approchant de la descente dans la baie. 3ème kilomètre en 3'50, plus personne ne nous gêne ce premier objectif est donc atteint, nous attaquons la descente du mur de boue qui se présente.

D'emblée le ton est donné, la vase fait glisser nos pieds qui se dérobent, le vent nous souffle dessus par légères rafales et le premier bras d'eau se présente. Difficile de savoir s'il est profond, je juge en fonction des concurrents déjà dedans et plonge. L'eau me monte jusqu'en haut des cuisses, je ne regrette pas d'avoir finalement pris mes clefs à la main. L'eau est froide et les chaussures en ressortent lourdes et collantes, ce n'est pourtant que le début. Le parcours est balisé de bout en bout ce qui relève également d'une performance si l'on considère que les organisateurs sont obligés de composer avec la marée pour pouvoir planter leurs piquets avant la course et les retirer avant la montée des eaux. Nous poursuivons notre périple le long de goulets boueux, traversés ça et là par des bras d'eau plus ou moins profonds. Quelques coureurs partis moins vite que nous nous doublent mais dans l'ensemble nous sommes toujours avec les même visages. Nous n'avons pas trop idée du rythme que nous soutenons mais celui-ci semble suffisamment élevé pour nous permettre de rester avec des coureurs du niveau d'Arthur sans pour autant nous empêcher de pouvoir profiter du parcours et de ses pièges. Le front de mer du Crotoy se dessine d'ailleurs peu à peu devant nous et nous admirons la vue, superbe s'il en est d'autant que le temps, sans être beau, est suffisamment lumineux pour nous permettre d'apprécier les différentes couleurs des devantures de bâtisses aux poutres apparentes. La ville du Crotoy émerge littérallement de l'étendue de sable sur laquelle nous évoluons. Nous croisons le premier qui revient, déjà, en grandes enjambées puis ses poursuivants lachés en grappes. La facilité du futur vainqueur nous étonne un peu, notamment l'amplitude de sa foulée sur ce sol meuble et glissant. Un dernier bras d'eau, plus important celui-ci, se présente à nous, l'eau nous arrive à la taille et la traversée de sa vingtaine de mètres demande quelques foulées dans l'eau froide. Une fois passé nous arrivons le long de la digue du Crotoy, remontons dans le port par la cale de mise à l'eau afin d'accéder au ravitaillement puis replongeons dans la baie pour le retour.

J'encourage Arthur pour la fin de parcours et allonge un peu la foulée, l'entendant essayer de donner sa bouteille d'eau à un coureur en sens inverse pour ne pas avoir à traverser la baie une bouteille à la main. Malheureusement tous les participants n'ont pas ses scrupules et certains n'hésitent pas, s'ils ont manqués les bennes prévues à cet effet, à laisser leur bouteille en plastique sur la vase bientôt recouvertes par les flots...même sur ce type de course ayant pour unique pretexte la beauté de Dame Nature l'incivisme se rencontre.

Je repasse le dernier bras d'eau, qui me semble commencer déjà à grossir sérieusement et entreprends de remonter peu à peu les concurrents devant moi. Mon rythme est sensiblement supérieur à celui des coureurs que je rattrape sans trop de problème. Je garde un oeil sur le peloton que je continue de croiser, certains courent déguisés, d'autres en couple comme Bobi et beaucoup seuls comme Laurent qui m'encourage sans retenue tandis que je le croise, je scande son nom également et nous poursuivons chacun notre route. Je rattrape un bon nombre de coureurs, on ne peut pas stricto sensu parler de peloton mais plutôt de coureurs solitaires ou en petits groupes séparés d'une dizaine de mètres, voire plus. Le chemin du retour ne nous fait pas repasser dans les goulets de l'aller mais par un détour un peu plus au large sur une étendue moins glissante où nous bénéficions d'un vent favorable. Je continue d'accélérer progressivement et remonte des concurrents jusque Saint Valéry sur Somme où le mur de boue dévalé à l'aller nous attends pour le chemin inverse. Je le monte sans trop de soucis, bien que mes pieds se dérobent parfois sous moi. J'entends un jeune supporter me dire que je suis 85ème, il reste un bon kilomètre et demi et la baie est derrière moi maintenant. Je suis content d'avoir couru prudemment la première moitié de course pour ne pas être dans le dur maintenant et avoir pu profiter jusqu'au bout des paysages. Un chemin pierreux nous ramène jusqu'au port, j'y remonte encore quelques places tandis que le speaker annonce l'arrivée du 4ème. Il me reste un virage à droite avant les derniers hectomètres, un coureur essaie de s'accrocher à mon rythme, j'en profite pour allonger très nettement la foulée et parcourir les 200 derniers mètres en sprint. Je franchis la ligne en 73ème position après 1h04'48 d'effort. A la réflexion un chrono de moins d'1h00 était largement à ma portée mais ce n'était pas le but du jour, une grosse semaine s'annonce à compter de demain et de finir en forme aujourd'hui n'est pas plus mal. Arthur passe la ligne 5 toutes petites minutes plus tard en 1h09'01 et 166ème position.

Nous donnons brièvement dans l'auto-satisfaction et allons nous poster en spectateurs dans la dernière ligne droite dans l'attente de Laurent. Celui-ci termine à la 2081ème place en 1h31'48 au chrono officiel, donc comptabilisant les quelques dizaines de secondes qu'il a perdu dans le sas en marchant depuis le coup de feu jusqu'à la ligne de départ. L'après-midi bucolique se poursuit avec le retour en train d'époque jusqu'au parking, l'ambiance festive elle sera prolongée par une bière partagée tous ensemble dans le troquet du coin où nous refaisons gentiment la course avec Bobi et Binta qui nous ont rejoints.

Photos: Le Photographe Volant, The Rippeur, MontDidier Athle

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