Marathon de Tokyo

Tokyo, 37.000 coureurs prêts à en découdre avec 42.195kms. C'est le dernier marathon à avoir fait son entrée dans le club très select des World Marathons Majors, les 6 plus gros marathons du monde (avec Boston, Chicago, New York, Londres et Berlin). Le bouche à oreille et le profil du tracé laissent tous deux penser que le parcours est plutôt propice à la performance même si la fin nécessite d'être abordée prudemment. Par ailleurs les conditions ont l'air bonnes: froid et sec bien qu'il semble y avoir un peu de vent. Néanmoins le plus gros point d'interrogation c'est mon état de forme: la prépa s'est bien déroulée jusqu'à S-4 où la machine à commencer à se gripper: moins de temps dispo pour les sorties, moins de kilomètres, hygiène de vie pas top et petite gastro à J-8...si on ajoute la fatigue du voyage et du décalage horaire il n'y a pas tout à fait de quoi être serein. Et puis il faut ajouter aussi que l'organisation m'a attribué un sas de départ "3h10"...pas mal de bousculades et de dépassements à prévoir au moment du départ donc et ça ne sera clairement pas converti en du temps de gagné.

Je me retrouve au départ avec 37.000 coureurs après deux jours de palabres qui, s'ils ne m'ont valu un sas mieux placé, m'auront au moins fourni une anecdote sympa à raconter dans laquelle se rencontrent pêle-mêle un champion grec, un bon whisky, le directeur sportif d'Asics et les JO de Barcelone en 1992 ! J'arrive très tôt afin d'être placé le mieux possible au sein de mon sas. J'y suis tellement tôt que je suis le premier :) Je suis donc devant, à la frontière avec un sas de qualifiés qui s'échauffent déjà. D'après les discussions de la veille avec l'organisation ils ne sont que 600 donc ça redevient jouable de les doubler dans un temps minimal et sans dépenser trop d'énergie. En revanche il me faut maintenant attendre 1h30 avant le départ...je m'assois sur le sol gelé comme tous mes colistiers du sas B. Les regards que je jette autour de moi ne me rassurent pas beaucoup, il y a un coureur déguisé en vache, un autre en grenouille, bref ça ne sent pas le départ fulgurant mais impossible d'échapper à la basse cour maintenant. Patience donc. 1h30 plus tard ou presque j'ai beau sautiller sur place, m'étirer je suis tout ankylosé de partout, frigorifié et comme émergeant d'une sorte de torpeur...difficile de croire que le départ va être donné et que je vais y prendre part. Et pourtant...

Un coup de feu et des gerbes de confettis donnent le départ. Je piétine à peine et 15 secondes plus tard je passe la ligne à mon tour, de ce côté là tout va bien donc. Je pars sur le meilleur rythme possible, double un peu bien entendu mais suis d'emblée assez surpris du rythme des coureurs autour de moi. Ca cavale sec au pays du soleil levant ! Je suis en 3'25/km, un rythme tout de même élevé pour un marathon et il y a devant moi des dizaines de dizaines de coureurs qui ne semblent pas aller moins vite. Je suis surpris mais agréablement car par conséquent je suis dans mon rythme sans zigzags interminables, sans changements d'allures pour doubler des coureurs moins rapides. L'autre point positif étant que malgré la longue attente immobile dans le froid les jambes démarrent plutôt bien. Trop bien même, je passe les deux premiers kilos en 3'33 et 3'29 au lieu du rythme de 3'35 prévu (2h32 en cible). Rien d'alarmant, un trop plein d'enthousiasme et de besoin de se défouler voila tout. Et puis les 6 premiers kilomètres sont assez favorables donc c'était même (un peu) attendu. Bref je reste dans ce rythme sur les kilomètres suivants, toujours aussi étonné de la densité de coureurs, quasi exclusivement nippons, dans ces allures. 17'37 pour les 5 premiers kilomètres (3'33 / 3'29 / 3'29 / 3'30 / 3'36). Je repère tout de même un coureur devant moi, dans un groupe qui tend plutôt à s'éloigner, il a un drapeau italien sur son maillot. Si tout se passe bien pour moi je sais que je regarderai le classement européen en plus du classement franco-français...deux classements honorifiques et sans valeur mais que je regarde toujours avec curiosité. Cet "italien" pourrait bien être déjà une place de perdue. Sur ces réflexions je quitte la portion favorable pour commencer à gérer ma course selon mon rythme cible. Le cardio se stabilise autour de 80% de ma FCM, c'est plutôt bon signe. Le parcours fait une sorte de croix, en terminant la première "branche" nous arrivons maintenant le long des jardins du palais impérial. Grands espaces, avenues aménagées et enceinte de pierre donnent un peu de cachet au site. Après 5 nouveaux kilomètres en 17'50 (3'29 / 3'37 / 3'36 / 3'34 / 3'31) je passe le tapis des 10kms en 35'27, c'est précisément 34 secondes trop tôt. Oui ceux qui me connaissent un peu et passent par ici savent que je manipule toujours beaucoup de chiffres pendant un marathon...ça occupe l'esprit et cette course ci ne déroge pas à la règle.

Bon jusqu'ici le début de course s'est plutôt très bien passé mais maintenant je dois m'appliquer, pas trop rapide, pas trop haut en cardio. Le mieux c'est de ne pas se focaliser dessus et de se laisser porter naturellement, ça tombe bien je passe le centre de la croix. Beaucoup de supporters sont là car nous y reviendrons plusieurs fois. Pas mal d'encouragements du coup, quelques français et de nombreuses personnes qui m'encouragent. J'attaque la deuxième branche, un aller-retour de près de 10kms. Plus on s'éloigne du centre plus la ferveur retombe quelque peu. Le japonais est un supporter tout en retenue, ça passe par les yeux...j'attrape quelques regards ponctués de "Toray !" énergiques mais dois plutôt regarder devant moi. De toute façon je suis dans ma bulle, bien décidé à ne pas me laisser perturber. Je guette le retour de la tête de course que nous devrions croiser prochainement et suis mon bonhomme de chemin tranquillement. Bien calé à 84% de FCM je reviens progressivement sur un groupe abritant notamment l'italien aperçu en début de course. Je les reprends au moment où les leaders passent de l'autre côté, compte tenu du vent qui souffle légèrement, dans le dos pour le moment mais le demi-tour approche, et de l'avance chronométrique dont je dispose je décide de rester avec eux. Je me mets donc dans ce groupe de 6-7 coureurs et passe au 15ème kilomètre après 5 nouveaux kilomètres en 17'53 (3'34 / 3'33 / 3'35 / 3'34 / 3'35). Demi-tour et direction le centre de la "croix", plein Nord. Cette fois le vent est de face et j'apprécie d'être un peu à l'abri...je suis suffisamment dans les temps pour ne pas m'inquiéter du rythme qui baisse très légèrement et j'en profite pour apprécier la FC qui se calme un peu (82% FCM). Le décor chargé de tours de verres et d'immeubles de bureaux ne permet pas vraiment de s'évader et je laisse plutôt mon esprit vagabonder en regardant défiler le peloton de l'autre côté de la route. Au fil des kilomètres je trouve tout de même que le rythme n'est pas excellent et finis par prendre plus ou moins les devants à l'approche du semi. 5kms en 18'05 (3'36 / 3'39 / 3'32 / 3'38 / 3'36). Je sens que me petite troupe manque d'aisance et comprends que ce groupe ne m'emmènera plus très loin, de mon côté tout va bien je suis de nouveau au centre névralgique du parcours, à mi-chemin et plutôt avec la banane. Rien n'est fait évidemment mais la course se déroule idéalement pour le moment. Je bénéficie régulièrement d'encouragements francophones et profite d'un "kop" de supporters annoncé par un grand drapeau tricolore pour faire un signe. Ils font pas mal de bruit, en passant je découvre que ce que je prenais pour un kop n'est autre que ma femme :) Sourire et passage du semi en 1h15'20, soit avec 40" d'avance donc tous les voyants sont bons.

C'est parti pour un autre long aller-retour de 10-12kms...ce parcours tout en longues lignes droites un peu éloignées des sites remarquables mériterait tout de même d'être retravaillé. Je suis dans ma bulle et n'en pâtit pas trop mais clairement on ne fait pas de tourisme ici. Le groupe a éclaté et j'avance seul maintenant, du coup je reprends une ou deux puls mais rien d'alarmant. Je surveille pas mal les bords de la route, je scrute en quête de supporters français, je m'occupe de mes gels, gère les ravitos...on s'occupe comme on peut pour rompre la monotonie du parcours. Comme j'ai pu le constater en début de course le niveau ici est assez relevé néanmoins je commence à reprendre des coureurs en perdition, qui s'étirent sur le bord de la route, qui terminent en footing...il commence à y avoir un peu de casse. Passage au 25ème km après 5kms en 17'59 (3'34 / 3'38 / 3'34 / 3'33 / 3'37). Le rythme est bon même si la fatigue commence à rappeler à mon bon souvenir le poids des bornes, en revanche la FC m'affiche, très succinctement, 180bpm (87% FCM) ! Ca n'est pas bon du tout mais je ne m'inquiète pas plus que ça, je me dis que si ça coince déjà maintenant alors de toute façon je n'aurais pas les moyens de sauver le chrono donc inutile de paniquer ou de chercher à endiguer une éventuelle défaillance si elle survient maintenant. Je peux me battre sur une dizaine de bornes mais impossible de résister avec à peine 40 secondes d'avance sur 17kms si je flanche. Le temps de me dire tout ça et la FC est déjà revenue autour de 85% de FCM...keep cool man. Les kilomètres passent et j'arrive au demi-tour, devant un site historique assez impressionnant: le Senso-Ji. Comme quoi il y a malgré tout des choses à voir même si jusque là le parcours n'est pas franchement digne des sites que la ville peut offrir. Je passe le 30ème après 5 derniers kilomètres en 18'04... (3'35 / 3'35 / 3'36 / 3'36 / 3'33) je suis donc toujours dans les temps mais ma tête me joue des tours, j'ai beau recompter, diviser par 42, multiplier par 30...bref des manipulations simples de tête, mes calculs me font accuser un retard de près d'une minute ! Il n'en est rien évidemment mais j'en suis persuadé sur le moment...et ne comprends pas où j'ai perdu ces précieuses secondes. Cette fois ci je ne suis plus au 25ème et je mets donc les bouchées double pour maintenir le chrono.

Mon esprit commence à se fixer sur les kilomètres restants, à chercher du regard les panneaux kilométriques...je sais que ce n'est pas bon, moralement ça va être long si je commence comme ça aussi je tente de me focaliser sur d'autres choses, je retrouve un ou deux visages connus dans la foule qui vient en face, je refais des calculs...assez peu de choses autour pour s'occuper l'esprit. Le rythme tient et je ramasse pas mal de monde maintenant. Il s'agit de progresser patiemment, kilomètre après kilomètre, pour aller chercher le chrono. Ne pas s'impatienter en pensant, déjà à l'arrivée, mais aborder le tracé progressivement, à mon rythme. Je sens bien que l'aisance disparait peu à peu et que mon rythme commence à faiblir...compte tenu de mes mauvais calculs je pense donc que les 2h32 sont foutues mais ça me laisse encore 100 secondes de marge avec mon PB, sur moins de 10kms ça fait un bon matelas de sécurité tout de même ! Justement voila le panneau 35, 18'03 après le 30ème (3'32 / 3'37 / 3'34 / 3'36 / 3'39). Les kilomètres à venir ne vont vraiment pas être une partie de plaisir, il va falloir se faire mal. Au 36ème je passe un pont repéré au préalable sur le parcours, plusieurs secondes en pâtissent évidemment. J'enchaine ensuite les portions plutôt défavorables, des passages de canaux, rien de bien méchant mais pas extrêmement plat. Cette zone des docks est un peu déprimante, heureusement que le public s'est massé sur les ponts pour nous encourager, ça aide ! Qui plus est je reprends toujours pas mal de monde et continue de ne pas me faire doubler donc le moral tient bon mais ça commence vraiment à être difficile. J'accuse vraiment le coup sur cette dernière partie et ne peut m'empêcher de compter les kilomètres restants, voire les hectomètres. Je me dis aussi que c'est quand même vraiment dur cette distance et que je suis vraiment en train d'atteindre mes limites...qu'est ce que j'en bave quand même ! Plusieurs heures plus tard ou presque je passe, enfin le 40ème après 5 pénibles kilomètres en 18'21 (3'43 / 3'35 / 3'37 / 3'44 / 3'39). Là un coureur me passe devant, et facilement en plus...il va vite le bougre. Je continue de rattraper du monde mais sincèrement je ne sais plus vraiment où j'habite, je suis un peu ailleurs à ce moment là. Nouvelle petite bosse au 41ème, je ne compte même plus les secondes de retard que j'ai sur les 2h32 même si j'ai bien en tête que le record personnel sera au rendez vous dans quelques minutes. Je porte mon regard le plus loin possible pour tenter d'apercevoir un morceau d'arrivée qui me redonnerait un peu d'entrain mais je ne vois rien. Enfin j'aborde le dernier kilomètre, mais même ça ça me semble long. Je ne vois toujours pas l'arrivée et la route est un peu déserte à l'exception d'un trottoir remplis de supporters...ma femme est parmi eux mais je passe sans même la voir. Je double un coureur japonais très acclamé, une star du coin certainement. Et puis, sans prévenir, après un virage à droite je passe le panneau 42...l'arche d'arrivée ne se dévoile qu'un virage encore plus loin mais me voila à "foncer" vers la ligne tant attendue un peu surpris d'arriver là. Je cherche en vain un visage connu dans les gradins et finis par passer la ligne, hagard en 2h31'46...oh wait ?!??

Oui je mettrais un moment à réaliser que tous mes calculs étaient faux et que le sub 2h32 était toujours bon...je regarde plusieurs fois le chrono pour m'assurer que je ne rêve pas et finis par exulter intérieurement bien après avoir passé la ligne :) Une fin de course très difficile donc, beaucoup de souffrance comme seul le marathon sait en faire vivre mais tellement de joie à l'arrivée d'avoir franchi significativement une nouvelle étape dans ma progression. Quel bonheur d'en être là après 9 marathons: 2h31'46 qui l'eut cru ? Je me classe 125ème (ce qui confirme la bonne densité devant), 1er français et 3ème européen. D'excellentes stats qui ne veulent pas dire grand chose, la seule métrique qui importe c'est le chrono n'est ce pas ;)

...

Le 07 Mar 2016 Arnaud a dit:

Enorme chrono Grosse grosse perf bravo

Le 23 Mar 2016 Seb a dit:

J'exige l'anecdote des JO
Bravo mon poulet t'as tout défoncé com d'hab

Le 23 Mar 2016 kassem a dit:

énorme bravo !! je crois que tu as mérité le surnom du héros local : "ULTRAMAN"

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