Marathon d'Amsterdam

Putain ce que c'est bon d'avoir mal aux jambes ce soir là. Je ne dors pas certes, trouve difficilement une position confortable plus de 5 minutes d'affilée effectivement mais punaise ça valait le coup !!! Je savais que j'avais les capacités de faire un bon chrono ici, que j'étais bien préparé et que le parcours s'y prêtait mais entre les choses que l'on sait et celles que l'on fait il y a parfois un écart certain. Et ce matin à 9h30, dans le stade olympique d'Amsterdam, je n'en étais encore qu'aux suppositions.

Il était plein ce stade quand la bruine s'est mise à tomber, vers 9h29 [...] Dans quelques secondes il faudra s'élancer pour 2h35 d'effort, enfin plutôt 2h34'59. Ca fait 3'40/km, une allure que je connais bien. Je pense même avoir un tout petit peu de marge mais sur marathon je sais aussi qu'il y a tellement de paramètres à concilier pour atteindre son objectif que je reste prudent et n'envisage pas vraiment mieux. Déjà s'aligner au départ avec un objectif comme 2h35 en tête ça met un peu la pression, la barre à l'air tellement haute. Evidemment si je regarde mes autres chronos et mes allures d'entrainement c'est logique que je me retrouve ici avec cet objectif en tête...mais quand même quoi sur le papier 2h35 ça fout les poils hein ! Sauf que le papier justement c'est le papier et quand le coup de feu retentit ça n'est plus vraiment le moment de cogiter: on passe à la pratique.

Bien placé je ne suis pas gêné au démarrage, je tourne tout de suite assez bien et ça me rassure beaucoup. En effet j'ai passé cette dernière semaine de relâche avec de très mauvaises sensations, très peu de sorties (j'arrive ici avec seulement 21kms au compteur !) et j'étais un peu inquiet sur ma capacité à me mettre dans le bon rythme. Heureusement les premiers kilomètres sont là pour me rassurer, je suis tout de suite sur le bon tempo, légèrement trop vite même mais en tous cas avec des sensations vraiment bonnes. De quoi être confiant pour les kilomètres qui arrivent. Km1: 3'29, un peu rapide mais rien d'alarmant c'est le départ. On traverse Vondelparc, un écrin de verdure très sympathique du sud d'Amsterdam. L'ambiance est surement assez éloignée de celles des dimanches matins habituels. Beaucoup de monde sur le bord de la route, beaucoup de bruit...ça y est, on y est là. La ferveur d'une grande compétition c'est quand même bon pour l'adrénaline. Je vois partir un bon groupe de 15 coureurs qui embraye la foulée de Milly Clark, une australienne assez affutée. Olivier Gaillard est de ceux là, de mon côté je suis tout seul un peu en retrait. La tentation est grande de me greffer à eux mais ils sont plutôt sur 3'33-35/km...même si je me sens bien ça n'est pas très prudent et je reste finalement au calme derrière. C'est en solitaire que je conclus ces 5 premiers kilomètres en 18'11 (3'29 / 3'37 / 3'40 / 3'37 / 3'45). Les sensations sont vraiment très bonnes, je suis assez souvent en train de chercher mon rythme pour ne pas aller trop vite. Nous sommes dans la périphérie sud d'Amsterdam, une sorte d'aller-retour dans lequel je vois passer les leaders de la course de l'autre côté de la voie. Un groupe impressionnant de 25 "kenyans". De mon côté de la voie je passe un peu mon temps à osciller avec un groupe de 6-7 coureurs emmenés par deux néerlandais. Je ne sais pas trop si c'est mon rythme qui est irrégulier ou le leur mais je suis soit obligé de les doubler nettement parce qu'ils n'avancent pas soit contraint d les voir me passer devant à une allure qui est bien au delà de l'allure cible. Entre eux et moi il y a forcément quelqu'un dont l'allure varie sensiblement et je suis presque sur que ce n'est pas moi donc je continue mon bout de chemin tout seul pour l'instant. Je surveille la FC aussi, elle se situe entre 170 et 173bpm selon les kilomètres soit 82% de ma FCM. Un voyant vert de plus. Une fois cet aller-retour terminé je finis par me greffer à ce fameux groupe avec lequel je navigue finalement plus ou moins à distance pour m'aider à me caler sur le rythme en lâchant le chrono des yeux, un peu. C'est avec eux que je passe le 10ème kilomètre après 36'18 de course (3'36 / 3'36 / 3'35 / 3'39 / 3'39). Du coup les kilomètres s'enchainent assez bien, je profite du parcours ou plutôt du monde au bord des routes. Nous sommes dans des zones très résidentielles, un peu à l'écart du centre et des monuments de la ville. Pour autant beaucoup de monde s'est déplacé pour encourager les coureurs. Je me suis mis un peu au milieu du groupe, nous sommes 8 et les deux néerlandais font le rythme. Enormément de français sur le parcours qui m'encouragent et souvent d'une façon très appuyée, ça me met une sacrée patate et j'ai vraiment hâte d'en découdre. Je sais que le marathon nécessite de la patience mais vraiment l'ambiance, le monde, le rythme qui est bon sans être difficile à tenir...tous les paramètres se réunissent pour faire vibrer le sentiment intérieur d'une belle course qui se construit. Je vois bien que je suis bien, ok le chemin est encore long donc je ne m'emballe pas mais je suis bien. Vraiment bien. J'échange un signe avec Olivier à la faveur d'un demi tour, il doit avoir une petite minute d'avance et pour lui aussi ça a l'air d'aller. On embraye ensuite vers les quais de l'Amstel que nous allons suivre maintenant pendant un moment, un premier tiers de course est passé et tout va pour le mieux. Je passe au 14ème km en 50'49 soit avec 30" d'avance (3'35 / 3'44 / 3'33 / 3'38).

Je m'attends à ce qu'il y ait un peu moins de monde sur cette partie car on s'éloigne du centre en longeant le bord de l'Amstel pour revenir par l'autre rive. Pourtant ici aussi des spectateurs se sont déplacés, des performances de flyboard sont en cours pour célébrer la course et le quai défile gentiment sous nos pieds. Je trouve le rythme un poil faiblard mais étant donnée mon avance sur le chrono je laisse faire. Néanmoins au bout de deux kilomètres, pour éviter les changements de rythme, je passe finalement en tête de groupe et impose mon allure. On descend sans encombre en étant assez régulier jusqu'au passage du pont pour faire demi-tour et remonter de l'autre côté. Bientôt le passage du semi, j'ai l'impression que le groupe s'est un peu étiolé mais je ne me retourne pas trop, je suis dans ma course, dans mon rythme. La FC est toujours collée à 82-83% de FCM. Je me demande ce qui va bien pouvoir m'arriver. "Qu'est ce qui va m'empêcher d'aller au bout en maintenant l'avance déjà accumulée ? Objection ! Rester prudent, faire preuve de patience, le marathon se joue sur les derniers kilomètres c'est normal d'être bien." Mais ces questions je ne peux m'empêcher de me les poser. Je les mets dans un coin pour plus tard mais elles sont là. Je passe l'arche du semi en 1h16'47 avec l'impression de pouvoir en faire plus (3'41 / 3'44 / 3'39 / 3'39 / 3'40 / 3'41 / 3'34).

Un peu plus loin j'aperçois Driss El Himer en perdition, il marche sur le bord de la route...je le hèle de loin, il a le sourire. J'accélère nettement pour prendre de l'avance sur le groupe et échanger une poignée de main. Puis je laisse revenir, tout va bien, je me promène. L'adrénaline de la course probablement. Sur ces kilomètres je peux voir le peloton qui descend de l'autre côté, c'est impressionnant, beaucoup de coureurs, beaucoup de monde, de bruit. De notre côté c'est plus calme il y a néanmoins toujours beaucoup de français qui m'encouragent, si certains passent par ici je les remercie vivement j'ai bénéficié d'un kop impressionnant de supporters. Les deux néerlandais retrouvent parfois leur coach qui les assiste d'un bidon, leur donne des infos chronométriques. Ils sont en mode perf, on s'est bien trouvés. Vers le 25ème kilomètre un triathlète sort du groupe et accélère, il y va un peu fort donc on reste dans notre rythme...enfin ça suffit à faire exploser l'alliance. En l'espace d'un kilomètre tout le groupe explose et je me retrouve tout seul, ça ne m'inquiète pas du tout mais je vois que les choses sérieuses commencent. Je ne m'inquiète pas parce que la distance ne me fait plus peur, j'ai progressivement apprivoisé ces 42kms en faisant un peu plus de long cette année et je me suis régulièrement confronté, à l'entrainement ou en compétition, à des kilométrages approchants cette distance voire allant au delà. Je reste serein même si je sais que je finirai la course tout seul maintenant de toute façon c'était moi qui faisais le rythme, aucune importance finalement. Je passe le deuxième tiers de course, 28ème kilomètre, en 1h41'42, c'est 1'20 plus tôt que prévu.

Le cardio s'est mis à déconner à plein tube donc je n'ai plus de repère de ce côté. Là encore pas d'importance je m'en sers beaucoup à l'entrainement mais nettement moins en course. J'écoute donc un peu plus mon corps pour savoir où j'en suis. Mine de rien les jambes ne volent plus comme au début, je sens un peu de rigidité et une flammèche d'inquiétude s'allume faiblement. Je ne m'affole pas car j'ai déjà près de 30kms dans les guiboles donc la fatigue est normale, simplement je ne la ressentais pas jusqu'ici. Le rythme est bon mais ce qui me rend vigilant c'est que la route est encore longue et que mon état ne peut que se dégrader. Je joue sur la corde raide donc, maintenir le rythme jusqu'au point de rupture qui ne se manifeste pas encore mais qui finira bien par arriver à un moment ou à un autre. Longue portion de quelques kilomètres dans une zone industrielle sans charme mais qui permet de maintenir un profil le plus plat possible. On m'avait vendu ce parcours comme propice à la perf et de toute évidence on ne m'a pas menti, ça roule bien. Dans ce dernier tiers de course je me projète inévitablement, déjà, vers la fin. Le rythme continue d'être bon sans que j'aie à trop y prêter attention et du coup mon esprit vagabonde entre mes jambes qui s'engourdissent doucement mais surement et l'arrivée qui se rapproche à une vitesse similaire. Je tente de repousser ces pensées pour ne pas accentuer le phénomène de fatigue/impatience et me réfugie dans les chiffres, je retourne mes quelques secondes d'avance dans tous les sens pour extrapoler des temps de passage/d'arrivée sans parvenir à les garder en mémoire ensuite. Enfin cette zone industrielle prend fin et je passe en 2h07'24 le tapis du 35ème km avec un indice de confiance toujours assez bon (3'42 / 3'41 / 3'33 / 3'39 / 3'38 / 3'43 / 3'41).

J'arrive proche du centre ville et ça commence à sentir sérieusement l'écurie. Toujours beaucoup, beaucoup de monde et un soutien franco-français qui ne faiblit pas. Il me reste environ 25 minutes de course, je commence à devoir me trouver des leitmotivs. Le rythme reste le même pendant un moment mais la différence est pourtant là, je suis obligé de m'employer pour maintenir l'allure. Depuis le début de la course finalement je suis naturellement dans le bon tempo. Désormais il faut que je m'applique, que je relance et non plus que je freine. Ca tient mais je commence à compter les kilomètres et les minutes restantes. Par ailleurs ce retour vers le centre oblige à franchir de nombreux canaux ce qui signifie quelques légères côtes. Rien d'inquiétant mais la balance s'alourdit progressivement et si mon avance ne diminue pas encore elle ne progresse plus non plus. Bref cela n'a rien de surprenant mais je dois commencer à puiser dans mes forces pour entretenir la course. Et même si je suis presque déçu que l'allure ne se fasse plus d'elle même je reste assez confiant car je parviens à la maintenir, je n'en suis pas à coincer. Et des kilomètres il y en a quand même de moins en moins à faire donc la jauge de confiance reste bonne. Je suis même presque certain, comme d'ailleurs depuis un moment, que je vais faire un super truc ici. Ce super truc je suis en plein dedans, c'est donc normal que ça me demande des efforts. Je paye maintenant, j'encaisse bientôt. Après le centre ville me revoila dans Vondelparc, c'est le 39ème kilomètre après 2h22'08 d'effort (3'39 / 3'43 / 3'40 / 3'40). 3kms to go !

Je visualise mentalement des portions connues de mes terrains d'entrainement qui font 3kms, c'est vraiment rien ce qui reste. Là je dois fournir un effort mental important, le rythme se complique et je ne perds finalement que peu de secondes car l'approche de la fin me motive. Il n'y a plus beaucoup de coureurs sur le parcours, on passe au compte goutte. Je reprends une féminine et réalise que je ne me suis finalement pas fait dépasser du tout de toute la course, hormis le triathlète qui est sorti du groupe au 25ème. C'est motivant et j'en ai besoin car maintenant c'est vrai que c'est dur. Je compte en centaines de mètres plus qu'en kilomètres. 3'43 sur le 40ème km...Arrgh ! Faut pas craquer maintenant ! Je relance constamment mais j'ai beau m'employer je parviens tout juste à rester dans l'allure cible, je n'ai plus aucune marge. Compte tenu de l'avance que j'ai ça va et je continue de me voir construire une super perf mais c'est le signe quand même que ma course s'est passée idéalement. Je coince légèrement donc j'ai bien fait de ne pas aller plus vite avant, néanmoins je suis tellement proche de la fin que j'ai bien fait de profiter de ma marge d'avance sur l'allure cible. Je ne perdrai pas 1'15 en deux petits kilomètres de rien du tout. 41ème en 3'40, ça tient, ça tient ! Toujours pas de stade en vue. Les encouragements font toujours autant de bien, je scrute la foule du regard car ma petite femme doit être là, pas très loin. Enfin le stade apparait, je revis, ma foulée repart et la vitesse revient. La vue de l'enceinte olympique me fait de nouveau galoper ! Je cherche dans la foule mais personne...ou plutôt tellement de monde qu'impossible d'identifier qui que ce soit. Le rythme est bien reparti, c'est l'adrénaline de l'arrivée ça. Il reste 500m, je serre le poing, mes jambes volent, je suis imbattable. J'entre dans la clameur du stade et foule enfin la piste, un demi tour à faire. Je fuse, j'explose, je crie car je tiens là un chrono incroyable (que je regarde encore quelques jours après en me demandant comment je l'ai fait). Dernière ligne droite dans un sentiment d'accomplissement exceptionnel, la ligne approche, j'exulte. J'arrête le chrono en passant la ligne mais finalement je le connais déjà depuis quelques kilomètres. J'ai tellement compté, recompté, décompté mes secondes d'avance que je sais déjà ce qu'il affiche: 2h33'44. Démentiel. Assis derrière la ligne Olivier lui rumine déjà. Sa course ne s'est pas déroulée aussi bien que prévu. Deux sentiments diamétralement opposés nous animent, à nous deux on illustre une belle synthèse des émotions que peut faire vivre un marathon.

Je récupère ma médaille, ma femme qui finalement était en tribune et ne peut m'empêcher de laisser aller ma joie. J'ai envie de danser presque même si mes jambes ne me le permettent pas encore. Je termine 48ème et 3ème français. Le triathlète qui s'est extirpé du groupe au 25ème termine 20" devant moi, les deux néerlandais entrent dans le stade lorsque j'en ressors, le chrono affichait alors 2h41. Dans ma tête c'est la folie, je me répète ce chrono comme s'il avait été fait par quelqu'un d'autre. Ou plutôt par moi mais avec le corps de quelqu'un d'autre. Je ne réalise pas bien. Il y a encore quelques mois je lorgnais sur les 2h40. Non seulement le chrono est foutument bon (bordel !) mais ma course a été quasi parfaite. Extrêmement régulier (1h16'47 et 1h16'58) j'ai vraiment maitrisé mon sujet, de bout en bout. Si parfois j'ai du faire preuve de vigilance à aucun moment finalement je n'ai vraiment douté y arriver. Aujourd'hui j'ai vraiment le sentiment d'avoir réaliser mon marathon le plus abouti, jusqu'au prochain...

Le 23 Oct 2015 Seb a dit:

Triple bravo ! Tout en facilité c impressionnant

Le 24 Oct 2015 Elbé a dit:

Félicitations c'est un temps qui laisse rêveur 👏👏👏

Le 24 Oct 2015 Arthur a dit:

Dans le port d'Amsterdam il y a Yoyo qui court.
Mais tu fais comment pour connaître la profession des coureurs autour de toi, triathlète, australienne, néerlandais.
C'est impressionnant mais pas autant que ta course. That's flipping awesome.

Le 24 Oct 2015 yannnn a dit:

Bravo pour ce récit qui retranscrit une course toute en maîtrise et un chrono dantesque. .. enormissime!

Le 24 Oct 2015 Sebastien a dit:

Jolie perf, très beau récit, félicitations.

Le 24 Oct 2015 Yo a dit:

Merci
@Arthur
Le triathlète était en trifonction, facile. Milly Clark j'ai étudié la question après coup quant à néerlandais ce n'est pas une profession, juste un énorme défaut de prononciation ça se repère vite :)

Le 24 Oct 2015 Ph. Arbogast a dit:

superbe récit de ta "folle" course, passionnant pour un amateur comme moi, cela va certainement me permettre de progresser pour envisager (peut être) un jour de faire une perf à mon faible niveau . FELICITATION, BRAVO, et très instructif. A un de ces jours !!!!

Le 01 Nov 2015 kassem a dit:

Quand on etait au XV ensemble vers 2010, c etait pas loin de ton allure sur 10kms. Quelques annees plus tard, je reviens sur ton blog par hasard et la je suis sur le c..
Bravo pour ce chrono de l'espace et pour ta progression stratospherique...Felicitations, c est vraiment enorme !!!

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