Marathon du Mont Blanc

Le marathon du Mont Blanc...ce nom a lui seul fait frémir les coureurs qui, comme moi, ne pratiquent pas particulièrement le trail et n'ont pas une affinité particulière avec les longues distances. Mais c'est pourtant bien cette course qui était au programme de cette fin de mois de Juin: 42.195kms au départ de Chamonix dont 2500m de D+ et 1500m de D-.

Plusieurs points remarquables sur le parcours: après 18kms et seulement 600m de D+ passage à Vallorcines (1280m), puis montée jusqu'au 23ème kilomètre à l'aiguille des Posettes (2201m). Descente ensuite vers Tré le Champ (1363m) au 31ème kilomètre avant de monter vers la Flégère (1897m) au 37ème kilomètre puis de finir à Planpraz (2016m). De belles réjouissances en perspective ! Je n'envisage donc pas du tout un chrono en particulier, uniquement de boucler la distance. Néanmois j'estime mes chances autour de 5h30 en pensant passer à Vallorcines en 1h35, puis 1h pour monter aux Posettes et 45' pour en redescendre. Cela m'emmenerait à 3h20 au 30ème kilomètre, n'ayant jamais couru plus de 3h et encore moins dans des conditions aussi difficiles je ne peux pas trop estimer les 12 derniers kilomètres mais j'imagine que 2h10 devraient être suffisantes.

Dimanche 27 juin à 7h00 me voila donc bien placé sur la ligne de départ, tout proche de monstres du trail comme Maud Giraud ou Dawa Sherpa. Le départ est donné à la voix et je m'élance avec Matthieu qui s'est chargé de l'organisation du week-end (bien en tous points excepté le concert de Ragga sous nos fenêtres durant la nuit précédente). Nous nous retrouvons assez vite en dehors de Chamonix faisant, comme tous, des gestes à l'hélicoptère de l'organisation. Pour nous deux le mot d'ordre jusque Vallorcines est de ne pas dépasser 13kms/h, nous tâchons de nous y tenir. Les premières côtes font leur apparition et nous montons tranquillement, plutôt doucement même mais régulièrement. Les descentes qui suivent donnent en revanche l'occasion à beaucoup de concurrents de nous repasser devant. Certains ont déjà sorti les batons, d'autres marchent délibérément dans la moindre côte, chacun gère sa course à son rythme. Il ne fait pas encore trop chaud mais aucun nuage ne vient tacher le ciel bleu qui nous promet des températures assez élevées dans quelques heures. Aussi même si le besoin ne s'en fait pas encore ressentir je prend soin de boire toutes les 20 minutes au moins. Je surveille l'altitude et constate que le col situé à 1460m est maintenant derrière nous, il ne nous reste plus qu'à descendre pour arriver à Vallorcines. Nous y sommes au bout de 1h31.

Dès le début de la montée vers les Posettes en revanche plus question de courir, la pente est bien trop abrupte et nous marchons du mieux que nous pouvons, tirant sur nos mollets qui commencent déjà à souffir. Le sachant meilleur grimpeur et mieux préparé qui plus est je laisse partir Matthieu et attends impatiemment un pourcentage moins élevé pour pouvoir recourir et soulager mes mollets. Matthieu garde une cinquantaine de mètres d'avance pendant presque 200m d'ascension où nous alternons marche forcée lorsque le sol est peu praticable ou la pente trop raide et petites foulées dès que nous le pouvons. J'arrive ensuite sur un large sentier où il accentue progressivement son avance jusqu'à ce que je ne le vois plus. De mon côté je monte assez sereinement, j'essaie de ne pas me mettre dans le rouge et alterne marche et course selon la pente. Je me sens plutôt bien, petit à petit l'altitude affichée au Garmin augmente et les sensations restent bonnes. J'en profite pour faire une ou deux vidéos et demande même à un promeneur de me prendre en photo devant le panorama et l'aiguille verte. Tout se passe bien donc et j'arrive au ravitaillement précédant l'aiguille des Posettes après 50 minutes, il m'en faudra 15 de plus pour rejoindre le sommet 200m plus haut. La vue est superbe et je prend le temps de faire un arrêt pour le panorama tandis qu'un bénévole remplit mon camel back. Les sensations sont là et je suis plutôt confiant néanmoins les 200m de D+ franchis depuis le ravitaillement ont permis à mes quadris de se manifester, sans sommation. Aucune alerte jusque là et pourtant dans la portion escarpée qui mène à l'aiguille je les ai senti durcir plusieurs fois...la fin va être difficile mais j'ai déjà fait 23kms.

Dès le début de la descente en revanche je comprends que ce qui m'attend va être difficile. Il faut descendre plusieurs marches et chacune d'elles est pretexte à découvrir un nouveau muscle de mes jambes qui se manifeste douloureusement. Beaucoup de coureurs me passent devant et je suis incapable de les suivre. Cette série de marches est interminable. Les crampes se sont déclarées d'un coup mais sont bien là à présent et je suis vigilant à tous mes mouvements pour éviter d'en déclencher une. Une fois les marches passées je suis un sentier, étroit, qui descend en lacets. Je cours tant que je peux, même si je ne dois pas aller bien vite vu que d'autres coureurs me doublent, dans le but d'arriver en bas au plus vite et d'en finir avec ces sensations. La montée ne m'a pas posé trop de problème, j'ai donc hâte de terminer cette descente et d'attaquer l'ascension finale. La pente faiblit et immédiatemment je commence à reprendre ou rattraper des coureurs qui m'avaient déposé dans la descente. Nous passons au Tour et je sais que seuls 2 petits kilomètres me séparent maintenant de Tré le Champ et de son ravitaillement. Je l'attends avec impatience pour pouvoir m'alimenter et reprendre des forces en prévision des 800m de D+ qu'il reste à faire. Je tourne convenablement par rapport aux autres coureurs, comme quoi sans D+/- ma caisse de coureur sur route peut faire la différence. J'arrive ainsi à Tré le Champ, que je traverse, dont je vois le bout mais toujours pas de ravitaillement...je m'inquiète un peu de voir un sentier grimper sur le flanc de la montagne et de m'en approcher sans voir toujours de bénévoles et de bouteilles d'eau...je finis par demander à quelqu'un. Le ravitaillement est juste après la côte aperçue à l'instant...ouf ! J'y arrive donc après 47 minutes de descente et 3h26 de course.

Je prends le temps de manger quelques morceaux de banane et de m'hydrater convenablement. Il me reste de l'eau dans le camel back donc je ne le remplit pas plus pour ne pas emmener de kilos superflus jusque la Flégère. Je repars après un peu plus d'une minute d'arrêt et attaque ce que je sais être la dernière et principale difficulté du parcours. Dès le départ je reprend la stratégie qui m'a permis de monter aux Posettes sans souci et alterne marche et course selon le pourcentage de la pente. Pourtant je suis bien moins efficace, la moindre foulée risque de déclencher une crampe y compris dans des muscles totalement insoupçonnés jusqu'ici. Naturellement je lève donc moins les pieds, bute plusieurs fois dans des racines et tombe même une ou deux fois. Parfois mon pied se bloque dans une position qui ne me permet pas de le poser à terre. Même sur les portions marchées je sens mes mollets tout près de se contracter, plusieurs fois je me raidis pour empêcher la crampe de venir. Un coureur qui me double me donne une pastille de sel, qui devrait me soulager sous peu...j'attends de voir et continue de monter tant bien que mal. Je surveille le kilométrage et me motive en fonction, plus que 10kms, 9.5...etc. Pourtant ce qui m'inquiète le plus et qui est bien plus significatif que le kilométrage c'est l'altitude. J'approche du 35ème kilomètre, la Flégère étant située eu 37ème, et constate que je ne suis qu'à 1600m...or la Flégère culmine à 1897m, les deux derniers kilomètres promettent d'être éprouvants. D'autre part ces deux derniers kilomètres d'ascension vont se faire non plus à l'ombre d'un sous bois mais en plein soleil, on approche de midi, je suis gâté. J'aimerais bien pouvoir souffler et m'arrêter un peu mais je m'efforce de continuer, sachant pertinemment que j'irai au bout et que plus tôt je pourrais mettre fin à mon calvaire mieux ce sera. Pris d'une crampe au mollet je réquisitionne un concurrent pour m'étirer le pied, il me donne un cachet de je ne sais quoi contre les crampes...je le prend, je suis de toute façon prêt à tout: cachets, étirements, sorts vaudous... J'en fais tomber une moitié par terre et je vis quelques secondes d'angoisse à l'idée de me baisser pour le ramasser, j'y parviens tout de même. Je m'accroche, trottine quand je peux, regrette de ne pas avoir de batons...mais finis par en voir le bout. Le télésiège de la Flégère donne un peu d'entrain et je me motive à le rejoindre. J'y parviens, enfin, 1h13 après avoir quitté Tré le Champ soit 4h39 d'effort.

Je prends mon temps au ravitaillement, des accompagnateurs rencontrés la veille se chargent de me remplir le camel back, je ne suis même pas sûr de les avoir remerciés, et m'encouragent pour la suite à venir. Je bois et prends pas mal de sel, espérant que les 5 kms restants seront plus faciles, ils le devraient. Après 5 minutes d'arrêt je me décide à repartir et m'accroche à l'idée qu'il ne reste plus 5 petits kilomètres, sans trop de dénivelé normalement excepté un mur final parait-il. A peine suis je reparti que la première difficulté arrive: des marches à descendre. D'immenses marches qui plus est et dont je ne vois pas le bout depuis le promontoire qui les précède. Me faire passer à un endroit pareil après tout ce que j'ai traversé c'est forcément du vice. Je descends en m'appuyant sur mes mains le long de la paroi. Une fois en bas je repars. Je ne tourne qu'à 9kms/h mais je me vois difficilement faire mieux. D'autant que je suis tout de même régulièrement obligé de marcher dans des pierriers assez instables. J'essaie de profiter du superbe panorama qui m'est offert, après tout je ne reviendrai probablement pas tout de suite ici, et de ne pas me focaliser sur l'effort. Mais je ne peux m'empêcher de jeter régulièrement un oeil au GPS: 4.5kms, 4kms, 3.7kms...les hectomètres s'égrennent lentement. Je cours toujours autant que je peux pour en finir au plus vite mais fais également très attention à mes appuis...une chute sur la crête ici pourrait avoir plus de conséquence que mes deux chutes dans la montée à la Flégère...il faut que je reste lucide. Petit à petit j'arrive à moins de deux kilomètres de l'arrivée et je le vois. Je vois ce long sentier sinuant qui me sépare d'une arche d'arrivée encore minuscule. Je vois que sur ce sentier d'autres en terminent et sont à une altitude bien plus élevée que moi. Dernier effort, dernier baroud, accroche toi. J'approche lentement de la portion montante de ce sentier mais lorsque j'y suis je ne faiblis pas. Beaucoup de coureurs marchent tandis que je m'efforce de monter en trottinant...du moins tant que le pourcentage tient sur un seul chiffre. Bientôt la fin du supplice, inutile de souffler ou de perdre mon temps en reflexions inutiles il faut que j'y aille. Au bout de quelques virages pourtant je ne peux plus courir. La pente est-elle raide partout à présent ou bien est ce moi qui suis complètement cuit ? Les deux très certainement. Je marche en m'appuyant sur mes cuisses, le soleil me tape toujours sur crâne avec autant d'insistance. Sur le bord du chemin des gens m'encouragent, y vont tous de leur petit mot mais je n'entends presque plus rien. Matthieu apparait soudain, il en a déjà terminé (en 5h00'01 bravo) et est venu à ma rencontre pour m'aider. Il me parle mais je suis incapable de répondre. Je monte, au moral seulement car le corps a rendu les armes depuis un moment. Dernier virage, dernier raidillon. Je suis dans le flou, j'avance en regardant le sol fixement, je ne dois pas être loin de m'écrouler. En m'arrachant je finis par arriver en haut et voir les 30 derniers mètres qui me séparent de la ligne. Ca ne monte plus, je fais l'effort et essaie de courir. Résultat peu probant car j'ai les jambes tendues, mais je parviens à passer la ligne en courant après 5h33 de course (155ème/1717 arrivants)

J'ai la tête qui tourne, je m'appuie contre tout ce que je trouve, m'étend sur une table de ravitaillement en attendant que ça passe. Envie de vomir. Le soleil certainement. Au bout de quelques minutes ça commence à aller mieux, je redeviens lucide et peux enfin discuter avec Matthieu qui m'accompagne toujours. C'est de loin la course la plus dure que j'ai faite. Un effort interminable, abominable parfois, mais des paysages superbes et très certainement une multitude de souvenirs qui me resteront pour longtemps. Sans compter la satisfaction inqualifiable d'être allé au bout, de savoir que je l'ai fait. Le monde du trail et ses distances qui donnent le vertige est vraiment un monde à part. Je ne crois pas que je serais capable de faire beaucoup plus mais une épreuve de cet ordre pourrait s'envisager de nouveau...un jour (rien ne presse).

Photos: FlashSport, Nico LaClusaz, Tatou42,

Le 29 Jun 2010 Arthur a dit:

Bonjour, Je suis un fidele lecteur de votre site. Je tenais a vous feliciter pour ce recit de votre premier MDMB. Recit avec des montees d'accents, des degrades d'emotions, des descentes d'ame et une chute vertigineuse. Il est difficile d'imaginer les pourcentages et la peine parcourue, d'entendre les solliloques avec votre camel back,les images aident un peu. Nonobstant l'altitude vous n'avez pas manque d'air pour faire cette course et cette remarquble performance.

Le 29 Jun 2010 Alexis a dit:

Pas de commentaires à rallongent ou les mots ne sont que dérisoires au regard de tes sensations éprouvées Reçoit en toutes simplicités mes félicitations et surtout continue à te découvrir. Alexis entraîneur de Matthieu.

Le 29 Jun 2010 Pierre a dit:

Bravo bravo, super expérience !

Le 29 Jun 2010 tamère a dit:

Je suis, comme à chaque fois, incroyablement épatée de la précision avec laquelle tu rapportes tous les infimes détails de ces 5h30 exceptionnelles. Encore un grand moment de ta vie. Bravo est un très faible mot mais je n’en trouve pas d’autre...

Le 30 Jun 2010 Seb a dit:

Bravo Johan! Et pour la course et pour le récit! Si un jour il y a un truc de malade dans ce genre qui s'organise du côté de Montréal... Tu sais que tu es le bienvenu avec ta p'tite famille! Encore bravo et salutations du pays des caribous!!! Seb (du Clos... enfin ancien du Clos...j'ai appris que Sego allait bientôt pouvoir en dire autant!)

Le 30 Jun 2010 Yo a dit:

Merci pour tous ces messages. A très bientôt, sur les routes ou ailleurs.

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