Marathon de New York

Le soleil est à peine debout. La foule de coureurs se dirige lentement vers la ligne de départ, sas par sas. Je suis presque devant, quasiment sur la ligne. Je ne réalise pas vraiment que dans quelques minutes je vais m'élancer pour courir un des marathons les plus mythiques qui existe. Je ne me sens pas du tout prêt à partir et à courir pendant 2h45, au mieux. Je repense tranquillement aux efforts déployés pour en arriver sur ce pont, tous ces levers à l'aube pour tenir une prépa digne de ce nom, ces souffrances à l'entraînement. Je pense également aux deux ou trois jours déjà passés sur place, à arpenter la ville à pied, espérant que la journée de repos dans Central Park de la veille aura suffi à éliminer la fatigue. Il y a tellement de choses à voir dans cette ville que je n'ai pas trouvé le temps de chausser mes runnings depuis mon arrivée. Puis d'un coup quelqu'un attrape un micro et lance: "Are you ready to run ?" La foule lui répond, le coup de feu claque, c'est parti.

Très vite je me place sur le côté et double le peu de coureurs moins rapides devant moi. Je ne suis pas sur le dessus du pont, je suis sur la voie du dessous. Peut-être y subirai-je moins le vent ? En tous cas les élites doivent être au dessus parce que pour l'instant je suis dans les 15 premiers ! En tête du marathon de New York: incroyable ! Des semblants de pelotons se forment déjà pour s'abriter du vent qui nous souffle droit dessus, je suis entre deux et monte patiemment le pont Verrazano. Sous le pont, dans les embouteillages, des conducteurs se lâchent sur leurs klaxons et hurlent par les vitres ouvertes pour nous lancer dans cette formidable course. Je ne peux m'empêcher de sourire, je jette un coup d'oeil derrière moi pour voir ce peloton qui me poursuit, une foule impressionnante de coureurs se rue vers moi. Je sais que le parcours qui m'attend n'est pas simple et que, élites exceptés, personne n'y envisage de négative split. Il ne faut donc surtout pas s'emballer sur le premier semi, plutôt roulant, si je veux pouvoir tenir le second correctement et être assez lucide dans les derniers kilomètres pour profiter du spectacle. J'espère passer chaque mile en 6'17 (3'55 au kilo), le premier arrive: 6'23. Compte tenu du dénivelé positif de ce mile je suis probablement trop rapide, surtout ne pas perdre de force, ralentir. Deuxième mile en descendant du pont: 5'26. 5'26 ??!? Je lève, cette fois, clairement le pied. 3ème mile en 6'16, je commence à avoir une meilleure notion du rythme à tenir. On entre dans Brooklyn, ouvre grands tes yeux mon bonhomme: tu n'es pas prêt de revivre ça. J'attaque une longue ligne droite de 4 miles (4ème mile en 5'54), repérée sur la carte la veille, le vent est pile en face mais je ne le sens presque pas, d'ailleurs je ne sens rien, je vole. Je passe juste mon temps à tourner la tête pour voir ces gens massés sur les trottoirs. Les enfants tendent leurs mains, je n'ai jamais autant échangé de tapes ou de clins d'oeil. Des écossais ont sorti leurs cornemuses, des groupes de soul music chantent en bord de route, les riffs de guitares s'enchaînent...c'est tout simplement survoltant. Je fais mon maximum pour ne pas me laisser emporter par toute cette ferveur. Le 5ème mile arrive déjà (6'09) et j'approche de la demie-heure de course, premier gel. Mauvaise appréhension à cause des gants il me glisse des mains, je poursuis ma route et jette les gants, sourire aux lèvres car de toute façon je me sens bien. Les miles défilent à une vitesse ahurissante, je ne vois pas le temps passer (6ème: 6'08). Je me fais doubler par un wagon de coureurs d'1m95 chacun, un peloton d'une dizaine de types quand même. Je suis tellement bien que j'hésite à les suivre, je serai peut-être un peu rapide mais au moins je serai à l'abri de ce vent. Finalement la sagesse l'emporte et je les laisse partir. Je reste derrière à profiter du spectacle de la foule. Même là où il n'y a pas de groupe de musique il y a toujours quelqu'un pour mettre une chaine HiFi à sa fenêtre. Un nouveau ravitaillement approche, décidément ça revient vite, je cherche le panneau du 7ème mile: 6'20...ça remontait un peu et puis avec l'avance que j'ai je ne m'inquiète pas. Je pense attraper un verre d'eau et bois une grande gorgée mais il s'agit d'un gobelet de Gatorade Endurance Formula...c'est sucré, imbuvable je le jette. Je découvre également que courir un marathon, ou plus simplement une course, à l'étranger me fait bénéficier d'une pléiade de supporters. Je me suis peint des drapeaux tricolores sur le visage avant la course et régulièrement j'ai droit à des encouragements personnalisés de groupes de français placés sur le parcours. Cette longue ligne droite s'arrête enfin au 8ème mile (6'19) où l'on rejoint les différentes variantes de parcours. Je n'ai pas assez de mes yeux pour voir maintenant tout ce qui se passe autour de moi, ces gens sont extraordinaires. Ils viennent se masser ici pour vous voir passer, sans même savoir ce que vous êtes venus chercher sur ce marathon, et vous poussent mile après mile. "Keep it up !" "You can do it !" J'ai parfois l'impression d'être dans un film. Il suffit de leur répondre pour qu'une clameur encore plus forte ne sorte de la foule. 9ème mile bouclé en 6'10, je viens de passer le 15ème kilomètre avec plus d'une minute d'avance, ça devrait me laisser de quoi gérer. 10ème mile en 6'08, ne t'emballe pas, garde le rythme. J'essaie de bien me ravitailler, même si je n'en ressens pas forcément encore le besoin, j'attrape un verre d'eau tous les deux ou trois miles et avale un gel toutes les demies-heures. Je me sens toujours bien et essaie tant bien que mal de me tempérer, je sais que la course ne débutera qu'autour du 18-19ème mile, ne gâche pas toute cette préparation par un peu d'impatience. Un long faux plat dans le 11ème me pénalise un peu: 6'26 mais je ne m'alarme pas, j'ai toujours une avance confortable. 12ème en 6'05 et 13ème en 6'10, le passage au semi approche, et l'entrée dans le Queens également. Premier semi en 1h20'42, au lieu des 1h22'30 prévues, presque 2 minutes d'avance. Je sais que le second semi est réputé beaucoup plus dur, je vais donc faire en sorte de ne pas m'épuiser dans les parties difficiles, je peux même y laisser ces 2 minutes et essayer de profiter des portions plus favorables pour tenter de conforter ce petit matelas de secondes d'avance.

J'entre donc dans le Queens et attends de voir si la ferveur y sera la même que dans Brooklyn. Cette fois encore ce marathon ne déroge pas à sa réputation: il y a du monde partout, je ne peux m'empêcher de courir avec un large sourire. J'ai passé le 14ème mile en 6'12 et déjà le 15ème arrive: 6'22...ce passage dans le Queens fut rapide. Arrive le pont de Queensboro, tous ceux qui ont couru New York le tiennent pour LA difficulté de ce second semi, avec les faux plats de Central Park. C'est maintenant que je vais savoir si je suis aussi bien que j'en ai l'air, si toutes ces côtes à l'entrainement ont été utiles. Je monte tranquillement, le pourcentage n'est pas bien élevé mais la pente est longue et, pour m'empêcher de trop accélérer, je reste avec un italien qui est à côté de moi. On monte doucement mais surement et parvenons en haut, déjà, au 16ème mile (6'35). Je viens donc d'utiliser 18" de mon petit capital d'avance, j'allonge la foulée dans la descente pour essayer d'en reprendre un peu.

La sortie du pont arrive, ça descend maintenant franchement et une foule incroyable est là à nous attendre. J'ai presque quelques frissons en quittant ce pont, tout le monde crie, hurle, applaudit...c'est grisant. Je profite de mon élan et me laisse un peu aller sur la 1ère avenue qui s'étend au loin jusqu'au Nord de Manhattan. Je sais que je suis trop rapide mais qu'importe je suis tellement bien, je décide de m'octroyer ce petit moment de laisser-aller jusqu'au 17ème mile et de reprendre ensuite mon rythme. Je suis complètement transporté sur cette large avenue, mes pieds ne touchent plus le sol, c'est presque facile. Le ravitaillement arrive il va falloir reprendre un rythme plus sérieux si tu ne veux pas le regretter. Passage au 17ème: 12'05 !!?! C'est en réalité le 18ème mile. 12'05 au lieu de 12'34 calme toi, profite. Je ne comprend pas comment j'ai pu rater un mile vu qu'ils sont chaque fois accompagnés de dizaines de volontaires tendant des gobelets. Passage au 30ème kilomètre: 1h55'17, l'avance est toujours là et c'est normalement par là que ça devrait commencer à être moins facile...sauf que ce n'est pas le cas. Je sens les kilomètres courus certes mais je ne me sens pas du tout entamé comme j'avais imaginé l'être à ce moment là. Je commence à croire sérieusement en mes chances de pouvoir boucler ce marathon en 2h45, je suis même maintenant presque sûr d'y arriver, dussè-je y aller au courage je me battrai jusqu'au bout. Mais pour le moment ça va encore. 19ème mile en 6'17, pile dans le rythme à 7 miles de l'arrivée...sourire. Le pont qui m'emmène dans le Bronx arrive, pas très long donc passé facilement mais désagréable car c'est un pont fait en grilles, recouvertes pour l'occasion d'une fine moquette. 20ème mile en 6'16 et une grande descente derrière dans laquelle j'allonge une nouvelle fois ma foulée. A peine arrivé dans ce quartier il me faut le quitter et reprendre un pont pour Manhattan. Retour sur Manhattan, en route pour l'arrivée en somme, au 21ème mile: 6'09.

Tout au Nord d'Harlem il y a un peu moins de monde, moins de distractions et plus de temps pour penser à moi, à mes sensations, à mes jambes...plus que 5 miles. Je me met à attendre le 22ème mile qui finit par arriver: 6'14. 4 miles to go. Je me le répète et cherche du regard les arbres de Central Park au loin. Le public est revenu, il est avec moi, accroche toi. Cette 5ème avenue est interminable, où est ce 23ème mile ? Je sais que je suis toujours dans le rythme mais c'est devenu nettement moins facile, je n'attends plus que ce panneau 23 et l'entrée dans Central Park. Il apparait enfin, il est loin: au sommet de cet immense faux plat qui décidément n'en finit pas. Je finis par y arriver, j'ai une appréhension avant de regarder mon temps sur ce mile car s'il est bien au dessus des 6'17 je vais prendre un gros coup au moral. Je jette un oeil: 6'10 ! Plus que trois miles, accroche toi mon grand. Je commence à envisager un chrono en moins de 2h45, voire même en 2h43...2h43 ! [soupir] Ne rêve pas trop mon bonhomme et accroche toi. Je suis maintenant dans Central Park et continue de monter, je sais que passé le 25ème la route descend et m'accroche à cette idée. C'est vraiment difficile, je double beaucoup, la foule me pousse. Le 24ème mile approche: 6'34. Plus que deux. Il faut maintenant descendre mais j'ai même du mal à allonger la foulée dans cette descente, mes jambes me font mal. Ce n'est pas le moment de tout gâcher, dans quelques minutes il sera trop tard pour regretter. Je poursuis ma course et cherche du regard le panneau 25. Je le passe en 6'14. Plus qu'un. Je passe un panneau "1 mile to go !" et me dis qu'il ne me faut plus tenir que 6'17 avant de pouvoir m'arrêter. Fonce ! C'est maintenant ! Je sors de Central Park, longe le sud du parc. Ca monte, où est ce virage à droite pour entrer de nouveau dans Central Park ? Un panneau approche: "1/2 mile to go !" Quoi ? Je n'ai fait qu'un demi-mile ??!? Il y a une erreur dans le mesurage c'est sûr...mouais...sur le marathon de New York...difficile à croire. Tant pis je me bats, les gens applaudissent, je double, je double, je vois Columbus Circle. Plus qu'un virage à droite et tu verras l'arrivée. Je tourne et pénètre une dernière fois dans Central Park. Derrière des barrières se sont massés des gens venus de partout, ma femme est parmi eux. Elle me voit, je le sais. Je ne la vois pas mais je sais qu'elle est là. Je me redresse et enchaîne vers l'arrivée. Passage sous la bannière 26 en 6'17, tu vas les avoir tes 2h43 ! Les yards s'égrènent, l'arrivée approche, elle est là, tout près, je la passe: 2h42'54, un autre monde.

Je n'y crois pas, c'est passé tellement vite. Je viens de courir un marathon incroyable. Encore plus incroyable: ce chrono, inespéré. Je suis sincèrement heureux, non seulement l'objectif des 2h45 est atteint mais en plus j'ai réussi à tenir mon rythme quand j'ai commencé à envisager 2h43 et, cerise sur le gâteau, je m'octroie même 6 petites secondes qui me permettent de voir affiché un 2h42 sur ce chrono. Côté stats je termine 195ème au scratch et 166ème homme, je suis également le douzième français.

Je retourne à mon hôtel comme je peux, y retrouve mon épouse qui me félicite, comme tous ces gens rencontrés sur ce chemin du retour. Tous viennent me congratuler, les passants, les agents de circulation, les vendeurs de Hot-Dogs...le défi fait partie de leur culture. Je me baigne dans un bain bouillant, descend avaler d'énormes parts de pizzas et du soda et me retrouve à traverser le pont de Brooklyn à pied avec ma femme, juste pour y retourner...

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